Des investigations sous contrainte

Pour la réalisation des enquêtes, nous avons sollicité des autorisations auprès de la SNCF (service recherche, et auprès de Gares & Connexions), ainsi qu’auprès de la RATP en ce qui concerne les espaces du métro. Malgré plusieurs relances, nous n’avons obtenu aucune réponse. A la différence donc de St-Pancras, où des autorisations avaient été obtenues, nous avons commencé les enquêtes en Gare du Nord sur un sol relativement labile. En effet, dès le premier jour, et ce au bout d’environ une heure d’investigation, un des membres francophones de l’équipe – alors en train de prendre des photographies – a été interpellé par un agent SNCF en costume, lui invectivant d’arrêter immédiatement de prendre des photos au motif que cela est interdit. L’agent SNCF en question n’a pas cherché à savoir ce que le chercheur faisait et pourquoi, ni s’il disposait d’une autorisation. A peu près au même moment, un membre anglophone de l’équipe se faisait questionner par un agent de sécurité d’une société privée, lui demandant ce qu’il faisait alors que ce dernier tournait un film. Le chercheur anglais bredouilla qu’il « ne parle pas français », a montré les images justes tournées au dos de sa caméra en guise de bonne foi et fut finalement laissé tranquille.

Les membres de l’équipe ont alors cherché à savoir ce qu’il en était. Est-il vraiment impossible de filmer ou de prendre des photographies en gare en France ? Le site internet de SNCF indique que les faiseurs d’images amateurs sont bienvenus en Gare.

De fait, le membre anglophone de l’équipe ayant été questionné s’est vu entrer de fait dans la catégorie « amateur », ou touriste qui ne fait rien de grave, tandis que le francophone a été catégorisé comme suspect. On voit également là une différence de traitement aux faiseurs d’images, en fonction de qui (représentant de l’institution ou employé à la sécurité) s’adresse à eux.

Bien que désagréables sur le moment - les membres de l’équipe de recherche ont de fait eu plus de difficulté à continuer leur travail « à l’aise », se sentant alors illégitimes dans leur action - ces interactions ont été capitales pour accéder à une « expérience de la surveillance et de la sécurité ». De fait, de ces moments vont pouvoir émerger dans le processus de recherche les distinctions entre ambiance de sécurité et sentiment de sécurité, ambiance sous surveillance et sentiment de surveillance. De même, en faisant l’expérience d’être celui ou celle qui dérange, qui ne fait pas ce qu’on attend de lui ou d’elle, les membres de l’équipe ont également fait l’expérience d’être les « trous du cul » (assholes, cf. J. Van Maanen) de la situation, notion que nous développerons ailleurs.


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