Parcourir Caracas en empruntant différents modes de transports : dimensions exploratoires de la première enquête de terrain

Principes

Notre premier séjour de terrain à Caracas, en août 2011, avait pour objectif d'approcher les réalités de la mobilité labile par une mise en situation concrète. Il s'agissait en particulier d'expérimenter et de répertorier la diversité des situations quotidiennes et des contextes urbains auxquels renvoient les déplacements dans la capitale vénézuélienne.

Durant une semaine, nous avons ainsi parcouru la ville à partir de plusieurs consignes initiales :

  • emprunter, parfois au cours d'un même déplacement, plusieurs modes de transports (métro, minibus, taxi, marche à pied...) ;
  • nous rendre dans différents quartiers, expérimenter la mobilité à l'échelle de différents territoires ;
  • identifier un terrain à approfondir dans un second temps (c'est par ce biais que nous avons sélectionné la Redoma de Petare) ;
  • tester la pertinence et la faisabilité de différentes techniques d'enquête associées au dispositif du parcours ou du trajet embarqué.

De manière générale, le protocole choisi, à savoir explorer-parcourir la ville en situation d'usagers des transports, a donné lieu à l'alternance de moments d'enquête formels et informels. Etre attentifs aux situations non prévues, se saisir des opportunités de rencontres, se mettre à l'écoute des anecdotes entendues au détour d'une conversation, ou encore se laisser porter par l'ambiance du moment sont des éléments qui ont orienté notre travail de terrain, nous amenant en particulier à moduler nos techniques d'enquête.

Les éléments de présentation qui suivent mettent alors l'accent sur les dimensions exploratoires de cette première phase d'enquête.

Qualifier la mobilité labile à partir de notre propre expérience

Nous avons d'emblée choisi de tirer parti de nos différents degrés de connaissance de la ville : sa découverte au travers d'un regard étranger pour l'un, le retour avec un regard autochtone pour l'autre.

Le dialogue entre ces deux points de vue a servi de base pour tester une technique d'enquête consistant, au cours de trajets en bus ou minibus, à nous rendre mutuellement compte de nos observations et perceptions (de l'ambiance intérieure au minibus, de la perception du bus, des conduites des passagers et chauffeurs...).

De fait, le protocole des commentaires embarqués n'a pas toujours été concluant pour des raisons pratiques : dans certains cas, les bruits mécaniques produits par le bus (moteur, freinage ou démarrage...) ont rendu l'enregistrement de nos voix inintelligible ; il s'est aussi avéré parfois difficile d'utiliser le matériel d'enregistrement sonore tout en restant discrets parmi les autres passagers.

L'attention prêtée à nos propres manières d'agir et de réagir face à de tels "moments critiques" nous a plus largement conduits à identifier comme des dimensions constitutives de la mobilité labile :

  • les ruptures ordinaires qui émaillent l'enchaînement des séquences d'un même déplacement ;
  • la "réactivité avisée" que requiert la gestion des ajustements permanents à la situation.

Déclinaison du protocole d'enquête : tableau de synthèse

Types de déplacements - trajets usuels (pour nous rendre à un rendez-vous, faire des courses...)
- visites de terrain (retourner sur des terrains abordés dans de précédentes recherches, repérer de futurs terrains potentiels)
Modes de déplacement - bus
- minibus (mode de transport collectif populaire et peu onéreux),
- taxi (quand nous étions pressés)
- marche à pied, sur parfois de grandes distances (pratique peu courante dans cette ville très étendue, et plutôt réservée à un usage interne au quartier, à des environnements réputés rassurants ou à une mobilité contrainte pour les habitants des quartiers populaires)
Territoires concernés - espaces publics centraux (plaza Venezuela-Sabana Grande, plaza Caracas, centre ancien autour de la plaza Bolivar)
- lieux-clés de la mobilité métropolitaine (terminal de bus informel de Silencio, terminal interurbain de Nuevo Circo, université centrale
- quartiers résidentiels de proche banlieue (Los Rosales, Chaguaramos, avenida Victoria)
Techniques d'enquête utilisées - commentaires in-situ entre nous (lors de trajets en minibus, à même la rue)
- entretiens "à la volée" (avec des chauffeurs de taxi...)
- recueil d'anecdotes (informel) sur les transports et l'insécurité

Esquisser une cartographie des territoires de la mobilité à partir de visites accompagnées

Plusieurs opportunités de rencontres avec des professionnels ou des habitants ont donné lieu à de véritables visites accompagnées in-situ. Mêlant questions semi-directives (sur les usages des transports, sur l'insécurité, sur le quartier...) et observations informelles à mesure que nous nous laissions guider le long des lignes de transport et dans les quartiers visités, ces visites nous ont particulier donné accès à des barrios où il est difficile de se rendre seul et sans motif précis.

La connaissance que nos accompagnateurs avaient de la ville, en tant qu'habitants et/ou professionnels, a aussi permis d'ancrer plus explicitement les différentes expériences de la mobilité en des lieux relevant de problématiques spécifiques : escarpement de certains barrios difficilement accessibles par les transports collectifs, éloignement du centre pour les travailleurs pendulaires contraints à des déplacements quotidiens très longs...

De manière générale, ces visites rendent bien compte d'une variété de contextes. S'il existe des problèmes de transports communs à tous les habitants de Caracas, ces problèmes se configurent différemment en fonction des modes de transport, des types de quartier et des modes de vie, créant finalement des rapports à la mobilité et au territoire particuliers : alors qu'habiter un barrio renvoie à une vie quotidienne largement marquée par le micro-local, les habitants des classes moyennes de la lointaine banlieue ont une vie rythmée par des trajets pendulaires très longs. En cela, l'esquisse de cartographie que nous avons pu dresser ne s'appuie pas seulement sur les différents modes de déplacement mais porte bien sur l'articulation entre systèmes de transport et pratiques des espaces urbains.

Territoires concernés Forme de la visite Modes de déplacement Techniques d'enquête utilisées
Lointaine périphérie de Charallave

ville nouvelle des années 1960 située à plus de 30 km de Caracas
aller-retour entre le centre-ville (plaza Venezuela) et Charallave (valle del Tuy), avec deux collègues universitaires (urbanistes, sociologues)

Trajet représentatif de la mobilité pendulaire à laquelle sont soumis les habitants de cette lointaine banlieue.
métro
+
train de banlieue ligne inaugurée en 2006
+
minibus et taxi pour rejoindre des quartiers résidentiels à partir de la gare ferroviaire
- commentaires embarqués entre nous

- entretiens (avec chauffeur, collègues)

- recueil d'anecdotes
Quartier de San Augustin

barrio situé en centre-ville
Visite accompagnée avec deux habitants de San Augustin (représentants communautaires) le long des 5 stations de la ligne de MetroCable San Augustin.

Ce nouveau système de transport public par téléphérique inauguré en 2009 permet de desservir les barrios escarpés.
à pied
+
metroCable
- entretien semi-directif

- visite commentée

- observation flottante
Barrios de Petare

zone auto-construite de plus de 600 000 habitants, à l'Est de la ville
Visites accompagnées d'employés (sociologues, urbanistes, chauffeur) à la mairie de Sucre (services de la planification et de la gestion urbaine)

Visites permettant d'appréhender l'organisation spatiale des barrios et les mobilités très contraintes qu'elle implique.
A pied
+
Jeep
(les taxis-jeeps représentent l'unique moyen de desserte de ces secteurs)
- entretien informel

- observation flottante

- visite commentée

Haut de la page

File d'attente en heure de pointe devant la gare de Charallave (banlieue de Caracas)
© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Commentaire sur les files d'attente (en espagnol) et les heures de pointes dans les transports avec un chauffeur de taxi lors d'une visite accompagnée dans la périphérie de Caracas.

Visite accompagnée du MetroCable San Augsutin
© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Commentaires sur le barrio San Augustin depuis les cabines du MetroCable