La mobilité labile à Caracas : expériences, situations, contextes

En prenant pour terrain Caracas, nous nous intéressons ici à l'expérience du déplacement dans une métropole où la mobilité des citadins se trouve contrainte par toute une série d'événements quotidiens : congestion du trafic et insécurité viaire, fortes pluies qui empêchent la circulation et détériorent très rapidement les chaussées, conflits sociaux (grèves et manifestations notamment des chauffeurs de bus ou de taxi), multiplication des crimes et délits dans les transports eux-mêmes (vols, attaques de bus faisant parfois des morts, kidnapping...).

© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Autant de réalités qui prennent place dans un contexte de déficience des systèmes de transport (le métro et ses pannes, le manque de coordination entre les différents modes de transport, voire à l'intérieur d'un même système en particulier pour les minibus...), de conflits gouvernement/opposition et d'inconsistance des politiques publiques (chantiers d'infrastructures régulièrement interrompus et prenant ainsi de nombreuses années, manque d'entretien des transports publics...), mettant notamment en évidence le manque de coordination entre les différents niveaux de l'intervention et de la gestion publique.

Dans ce contexte, comment la ville se pratique-t-elle ? Comment les citadins s’approprient-ils ou détournent-ils les contraintes liées aux déplacements et quelles ressources parviennent-ils à en tirer ? A quelles ambiances particulières la précarité du transport donne-t-elle lieu ?
De quelles manières l'expérience du transport, en tant qu'expérience intersubjective de la ville, interagit-elle avec la construction de l'espace public, du caractère public de l'espace urbain ?

Les registres de mise en forme de l'urbanité auxquels nous nous attachons plus spécifiquement ont un caractère paradoxal : celui de composer de façon structurelle avec l'incertain, le provisoire, l'imprévu... - en un mot, le labile -. L'objet que nous proposons d'explorer est alors la structuration des espaces-temps de la mobilité à partir des épreuves auxquelles leur fonctionnement est soumis.

La notion d'épreuve ne renvoie pas ici seulement au caractère éprouvant des mobilités. Elle s'entend dans le sens plus large d'une écologie urbaine s'intéressant au répertoire des épreuves ordinaires qui façonnent l'urbain et à travers lesquelles situations et usages, lieux et liens, institutions et citadins, interagissent et s'ajustent.

La labilité caraquénienne donne à ces interactions et ajustements un caractère exacerbé, telle est l'hypothèse que nous faisons. Cette hypothèse s'appuie sur de précédents travaux qui, explorant les registres de la confusion, de l'excès et de la dérive dont Caracas fait l'objet dans différents domaines, mettent en évidence l'importance des processus de vulnérabilisation 1 : vulnérabilisation institutionnelle (logiques d'urgence entretenue par les politiques publiques en surréaction aux situations de crise), vulnérabilisation socio-spatiale (porosité problématique entre territoires urbains), vulnérabilisation du lien social (développement d'une sociabilité de surveillance dans un contexte où l'incertain est d'emblée perçu comme dangereux).

Un enjeu particulier consiste alors à appréhender la continuité qui relie, en contexte, problèmes publics urbains et expérience individuelle. Cet enjeu implique de rendre compte des effets du contexte sur l'expérience citadine mais aussi de documenter les situations et les usages de la mobilité ordinaire au moyen des arrière-plans qui les travaillent.

Les ressorts du sensible sont alors explorés à partir de deux orientations : celle d'une sociologie cognitive, qui s'intéresse à la manière dont des perceptions situées donnent lieu à la constitution de répertoires sémantiques et pragmatiques ; celle d'une réarticulation explicite entre situations observées à l'échelle micro et arrière-plans.


1 Voir en particulier : Garcia Sanchez P., « Caracas : (habiter la) ville “ fragilisée ”, (se rendre compétent dans la) cité vulnérable », in Villes internationales : tensions et réactions (L. Roulleau-Berger, I. Berry-Chikhaoui & A. Deboulet eds.), Paris, La Découverte, 2007, pp. 169-188.


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La movilidad lábil en Caracas : experiencias, situaciones, contextos

Todos aquellos a los que les toca vivir la experiencia termina por reconocerlo: recorrer o desplazarse en Caracas y sus alrededores no es nada sencillo. Bien sea por el tráfico denso y enrevesado, las deficiencias en los sistemas de transporte, el mal estado de las vías y de su señalización, las manifestaciones, paros y/o alcabalas oficiales y/o informales, los cortes de energía, la sobre-población vehicular, los efectos territoriales y urbanos de la polarización política, la desconfianza e inseguridad infundidos por la multiplicación de delitos y crímenes en situación de movilidad, la ineficacia de las instituciones encargadas de velar por la seguridad viaria o la congestión general, moverse en Caracas sirve para poner a prueba cotidianamente los usos y costumbres citadinas.
Lo “normal” es estar predispuesto a sortear toda clase de obstá-culos, correr riesgos inauditos, volverse apto frente a lo inesperado y arreglárselas como se pueda para llegar “sano y salvo” a su destino. En dicho contexto, tener que relacionarse con los otros y con su entorno de manera casi estructural a partir de lo incierto y de lo imprevisto, de lo precario y de lo provisorio, es lo que nos hace pensar en la importancia de una movilidad lábil en Caracas.

© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Nuestro trabajo ha consistido en identificar algunos registros empíricos, situacionales y contextuales de esta labilidad (que requiere un ajuste casi permanente a lo incierto) que caracteriza a la movilidad urbana caraqueña. El tratar de entender la emergencia enigmática de esta forma de movilidad nos ha llevado a desentrañarla tematizandola, documentandola y suscitando un conocimiento de sus dimen-siones sensibles, socio-políticas y socio-espaciales. Recorriendo la ciudad en camioneticas, minibuses, taxis o autos, haciendo uso del metro y del aéreo, viviendo la experiencia periférica del tren hacia Charallave o recorriendo como peatones los puntos neurálgicos de la ciudad (El Silencio, Plaza Venezuela, Chacao, La Redoma de Petare...) una ecología urbana sensible de la ciudad y de sus ambientes ha ido apareciendo.


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